Débat



L’immigration au Québec dans un contexte de sous-fécondité chronique: un rendez-vous manqué dans le rapport Bouchard-Taylor




Michel Paillé
Démographe, Québec





Gérard Bouchard et Charles Taylor, FONDER L’AVENIR. Le temps de la réconciliation. RAPPORT, Québec, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2008, 307 pages.


En 1990, M. Gérard Bouchard cherchait «comment faire cohabiter le pluralisme ethnique et culturel dans un même espace socio-politique». Il croyait alors devoir insister «sur le rôle peut-être décisif que les facteurs démographiques semblent devoir jouer»[1] en la matière. Or, dans le rapport Bouchard-Taylor (RBT), le substrat démographique ne joue pas ce rôle, au contraire.
Réduction rapide, puis effondrement de la fécondité
S’il est une dimension très importante de l’histoire récente du Québec, c’est bien celle – et n’ayons pas peur des mots – de l’effondrement de sa fécondité. On fait généralement bon marché de cet aspect de notre histoire pour la simple raison que nous ne sommes pas les seuls.
Le baby-boom postérieur à la Deuxième Guerre mondiale a porté l’«indice synthétique de fécondité» (ISF) à un sommet de 4 enfants par femme (1957). Par la suite, l’ISF s’est réduit de moitié en moins de 15 ans. Dès 1970, il touchait le seuil de remplacement des générations, soit 2,1 enfants par femme. Rien de dramatique jusque-là, car la population québécoise se serait tout de même renouvelée. Le vieillissement n’aurait pas été trop rapide, ni trop prononcé, et l’immigration aurait pu assurer une croissance démographique soutenue.
Les quatre décennies suivantes allaient toutefois modifier nos perspectives d’avenir, faisant du Québec une société marquée par une sous-fécondité profonde et chronique. Profonde, car dès le milieu des années 1970, l’ISF glissait sous 1,75 enfant, plongeant même jusqu’à 1,36 enfant en 1987. Chronique, car en dépit de quelques soubresauts (1990-1996[2] et 2006-2008[3]), cet indice n’est jamais remonté au-dessus de 1,74 enfant. Pendant plus de 30 ans, il se situait à 1,55 enfant en moyenne[4].
À propos de la Révolution tranquille, MM. Bouchard et Taylor rappellent la création du ministère de l’Immigration (1968). Ils soulignent que «la prise de conscience de l’immigration […] faisait naître une crainte» (RBT, 116) chez les Canadiens-français devenus Québécois. Cette crainte n’est associée qu’aux immigrants dont la grande majorité, à l’époque, s’anglicisait. Rien sur l’état démographique de la population d’accueil.
Or, la chute de la fécondité s’observait déjà depuis une décennie, menaçant de rompre ce que l’on appelait «l’équilibre linguistique»: d’une part, la sur-fécondité légendaire des francophones catholiques du Québec, d’autre part, une minorité anglophone qui pouvait compter sur l’anglicisation de la plupart des immigrants. On sait pourtant que la perte de l’avantage d’une fécondité plus élevée a poussé la majorité francophone à s’intéresser à l’immigration[5], domaine abandonné jusque-là au gouvernement fédéral[6].
Suffisait-il de recourir à l’immigration internationale pour assurer notre avenir démographique? Suffisait-il de légiférer dans les années 1970 en matière linguistique pour assurer la pérennité de la majorité francophone au Québec? Je réponds non à ces deux questions même si un large segment de la société québécoise en a fait des panacées. C’est le cas de MM. Bouchard et Taylor: «En quoi l’héritage canadien-français [sic] se trouverait-il menacé, compte tenu […] de l’effectif démographique et […] des protections qu’offre la loi 101?» (RBT, 212).
La charnière de la Révolution tranquille
- Un passé rassurant
Pendant plusieurs décennies, les Québécois ont cru à la «revanche des berceaux», ainsi appelée en 1918 par le père Louis Lalande dans L’Action française[7]. Fort peu moralisateur, ce jésuite énonçait une pensée populationniste pour assurer notre pérennité par le nombre, allant bien au-delà d’une pâle «survivance». Citant un poète américain, il énonce un axiome: «The hand that rocks the cradle rules the world»[8].
Ainsi, nos familles nombreuses ont pu contenir les «Loyalistes anglo-saxons» le long de la frontière américaine, évitant leur progression jusqu’au fleuve[9]. À la frontière ouest, les familles nombreuses de la colonisation des Pays d’en Haut ont fait de l’Outaouais «une ligne de démarcation entre deux races»[10]. Débordant en Ontario, elles ont suscité l’inquiétude du Canada anglais[11] plutôt que celle du Québec. Très optimiste, Louis Lalande estimait à 15 millions, le nombre de francophones au Canada à la fin du XXe siècle[12].
Les propos du père Lalande se placent dans l’idéologie du Québec rural qui a permis «de rivaliser avec les Anglais»[13] pendant 50 ans. Des générations de Canadiens-français, comme on disait à l’époque, y ont mis toutes leurs espérances[14]? Cette idéologie donnait confiance en l’avenir.
- Un avenir inquiétant
Depuis 3 ou 4 décennies, notre démographie n’est pas rassurante. Il y a 20 ans, Jacques Henripin calculait qu’un ISF de 1,6 enfant conduisait à une réduction de la population entre deux générations (25 à 30 ans) de 23%[15]. Les projections de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) montrent une diminution de la population dans les années 2030, ce que MM. Bouchard et Taylor reconnaissent (RBT, 222). Le Québec dénombrerait alors un maximum de 8,1 millions d’habitants[16].
Majorité oblige, la régression de la population Québécoise entraînera celle des francophones. En effet, les dernières projections montrent un recul des Québécois s’exprimant en français au foyer dans deux décennies[17]. La baisse aura lieu malgré l’apport des immigrants qui adopteront le français dans leur vie familiale et qui, de ce fait, élèveront leurs enfants en français[18]. Car contrairement à ce que l’on croit, la contribution des mères allophones francisées, bien qu’en hausse, est et restera insuffisante face à une sous-fécondité qui perdure et à une immigration qui n’a jamais été compensatrice[19]. Dans un tel contexte, souhaiter une francisation suffisante des allophones pour faire contrepoids à la sous-fécondité est irréaliste.
Au milieu du siècle dernier, la population du Québec comptait pour près de 29% de la population canadienne; 50 ans plus tard, cette proportion glissait sous les 24%[20]. La tendance est si lourde, qu’un glissement jusqu’à 22% en 2026, voire de 20% en 2051 est prévu[21].
En somme, de part et d’autre de la Révolution tranquille, un frappant contraste apparaît. Or, suffisait-il de remplacer l’oxymoron «revanche des berceaux» par celui de «Révolution tranquille» pour que tout un peuple entrevoit l’avenir avec confiance? Peut-il maintenir cette hypothétique confiance après 40 ans de sous-fécondité?
L’immigration sur fond de sous-fécondité
S’interroger sur l’avenir d’une population qui doit compter sur l’immigration pour atténuer les effets d’une croissance démographique de plus en plus chétive, et éventuellement négative, n’est pas récent. On pourrait remonter aux origines de la révolution industrielle et à la «transition démographique» qui l’a accompagnée, pour constater le caractère universel et ancien de cette préoccupation.
En observant, sur deux siècles, l’histoire démographique de plusieurs sociétés fort dissemblables à plusieurs égards (religion, ethnicité, langue, culture, niveau d’urbanisation, degré d’industrialisation, etc.), Michael S. Teitelbaum et Jay M. Winter ont trouvé des réactions similaires face au recul éventuel des effectifs de leur population, à l’affaiblissement d’une majorité, à la croissance plus rapide de minorités (religieuses, ethniques, linguistiques), etc. Ils l’ont fait dans deux volumes très remarqués, The Fear of Population Decline[22], et A Question of Numbers [23].
Depuis les années 1990, l’immigration internationale est devenue un puissant facteur de transformation susceptible de créer une «inquiétude générale [qui] n’a rien de surprenant» (A Question[24], 278). Teitelbaum et Winter précisent que dans certains segments[25] des populations étudiées «les immigrants, plus qu’une force revigorante de la vie nationale, sont [perçus comme] une menace» pour la population d’accueil. Ils ont observé que «partout dans le monde développé, les formes et les coutumes nationales sont mises à l’épreuve» (A Question, 331) par l’immigration internationale des dernières décennies.
Dès leur premier livre, ils s’exprimaient ainsi:
If absolute immigration numbers are substantial under conditions of slow or negative natural increase, there can be relatively rapid changes in the ethnic, racial, linguistic, or other social characteristics of the population. […] the compositional change caused by the immigration flow itself is heightened by the subsequent differential fertility behaviour, even if (as is typical) the birth rate of high-fertility immigrant groups tends to converge downward over the long run toward the levels of the receiving country (The Fear, 111).
En se penchant sur la situation démographique canadienne, ces auteurs trouvent une inspiration dans un discours de Jacques Parizeau (Banff, 1967). Ils le citent ainsi: «Dans le Québec, de plus en plus de gens comprennent désormais que la combinaison d’un taux de natalité rapidement décroissant et de notre inaptitude à intégrer les immigrants présente un grave danger pour la communauté francophone en Amérique du Nord» (A Question, 250).
Le Québec se compare bien à d’autres sociétés
D’ailleurs, MM. Bouchard et Taylor reconnaissent que bien d’autres sociétés[26] cherchent à concilier «de vieilles identités déstabilisées et une diversité ethnoculturelle qui entend faire valoir ses droits» (RBT, 42). «[N]otre situation n’est pas insolite, [car nous partageons] des traits communs avec l’ensemble des cultures occidentales» (RBT, 190).
Cependant, il va sans dire que le Québec n’est pas rigoureusement comparable à n’importe quelles sociétés. Reconnaissons avec MM. Bouchard et Taylor que l’on ne pourrait «tenir pour acquis que des craintes justifiées ailleurs le seraient forcément ici» (RBT, 190). C’est le cas par exemple de la situation des Russes de religion orthodoxe voisins de Républiques islamistes d’Asie centrale. Tandis que les premiers connaissent une faible fécondité, les seconds ont toujours une fécondité élevée (The Fear, 99, 115). Il n’y a rien au Québec qui ressemble à la récente apparition, dans la Russie d’aujourd'hui, d’un néo-nazisme virulent dirigé contre les musulmans.
Par contre, l’analyse de Teitlebaum et Winter nous interpelle à propos de notre propre situation démographique générale, et plus particulièrement, en ce qui concerne le fait français au Québec, comme dans l’ensemble du Canada. Dans The Fear of Population Decline, ils reconnaissent le Canada comme un pays où l’immigration peut modifier les rapports démographiques entre les deux principaux groupes linguistiques[27]. Peu enclins à adopter le français, les immigrants constituent un facteur susceptible d’affaiblir le groupe minoritaire francophone à l’échelle canadienne[28], groupe déjà affaibli par sa faible fécondité[29].
Rappelons d’ailleurs que le Canada anglais a déjà manifesté quelques craintes face aux immigrants d’Europe de l’Est. Il s’est rasséréné après avoir constaté l’anglicisation de ces immigrants aux «unpronounceable names». Ainsi, par leur anglicisation, ces immigrants mettaient «leur poids du bon côté de la balance dans la concurrence entre les deux Canada»[30].
D’ailleurs, sait-on que notre «revanche des berceaux» n’avait rien d’unique? En effet, le révérend James Marchant de l’Église anglicane, énonçait en 1917, cet axiome qui rappelle celui du père Lalande: «In the difference between the number of coffins and the number of craddles lies the existence and persistence of our Empire» (The Fear, 40). Bref, la croissance démographique est capitale, que ce soit pour assurer la pérennité d’un Empire colonial – n’en déplaise à MM. Bouchard et Taylor qui croient le contraire[31] – ou celle d’une colonie au sein du même Empire.
En somme, à la lumière des travaux de Teitelbaum et Winter il m’apparaît que le Québec est une société plutôt normale qui réagit comme bien d’autres, grandes ou petites, dans une conjoncture démographique analogue. Précisons que selon Teitlebaum et Winter, une immigration qui «modifie rapidement la structure culturelle, raciale, linguistique, ou ethnique» d’une société serait plus inquiétante que le recul de la population en nombres absolus (The Fear, 150).
L’approche psychologique du rapport Bouchard-Taylor
MM. Bouchard et Taylor font état de quelques «réactions négatives des Québécois canadiens-français [sic]» entendues lors des forums régionaux qu’ils ont tenus. Ces réactions portaient autant sur la religion, la langue et la culture, que sur l’héritage de la Révolution tranquille, la survie de la francophonie québécoise, etc. Ainsi, l’immigrant refuserait de faire le moindre compromis et ne se sentirait concerné ni par le destin, ni par la mémoire du groupe linguistique majoritaire (RBT, 67-68). Ailleurs ils rapportent que «les immigrants ne veulent pas s’intégrer», «ne songent qu’à recréer ici la société qu’ils ont quittée» et «vont nous submerger car leur fécondité est très élevée» (RBT, 215).
Face à de tels témoignages, MM. Bouchard et Taylor font usage de plus d’une douzaine de termes ou d’expressions[32] expliquant, selon eux, les attitudes et les comportements de la majorité francophone. Des mots comme peur, malaises ou insécurité rappellent ceux que Teitlebaum et Winter appliquent à d’autres sociétés d’hier et d’aujourd'hui. Cependant, des concepts tels la crispation ou le braquage identitaire ne s’y trouvent pas.
Mais au-delà des différences de sémantique, il y a aussi une différence marquante entre le rapport Bouchard-Taylor et les ouvrages de Teitlebaum et Winter. En effet, MM. Bouchard et Taylor affirment que «le doute de soi et la peur de l’Autre, […] sont deux empêcheurs du passé canadien-français» (RBT, 212). Selon eux, «l’insécurité du minoritaire» serait «un invariant de la francophonie québécoise avec lequel on doit constamment composer» (RBT, 298, en rouge dans le texte).
Comme l’a montré Gilles Bourque[33], il s’agit là d’une «analyse ethnicisante et étroitement psychologique de la crise» des pratiques d’accommodement. Elle fait de l’ethnicité canadienne-française [sic], une essence. Nos attitudes seraient endogènes et hors du temps, ce qui nous distinguerait des sociétés inscrites dans l’histoire étudiées par Teitlebaum et Winter.
L’incontournable rapport naissances / immigrants
Dans l’optique de Teitlebaum et Winter, les faits démographiques bruts parlent d’eux-mêmes. En s’inspirant de leur démarche, on doit considérer ce qui suit.
C’est une chose d’avoir accueilli en moyenne 27 200 immigrants par année entre 1954 et 1963 alors que les naissances annuelles moyennes tournaient autour de 140 000[34] bébés, pour un rapport de 5 naissances pour un immigrant[35]. C’est un tout autre défi que d’espérer intégrer 55 000 immigrants en 2010[36] alors que l’on s’attend à 74 000 naissances par année en moyenne. Le rapport naissances/immigrants ne sera plus alors que de 4 naissances pour 3 immigrants que l’on espère toujours intégrer à une majorité francophone qui régresse.
Puisque l’île de Montréal accueille plus de 7 immigrants sur 10, il faut noter que depuis l’an 2000, la métropole du Québec reçoit chaque année plus d’immigrants qu’elle ne compte de naissances attribuées à ses résidentes. Or, parmi les bébés mis au monde par les Montréalaises, une fraction de plus en plus grande provient justement d’immigrantes non encore intégrées, voire non encore francisées, tout simplement parce que leur insertion est trop récente et parce que les moyens déployés pour leur francisation sont nettement insuffisants[37].
La conjoncture démographique québécoise qui nous marque depuis quelques décennies montre une poursuite du déclin de la majorité francophone dans la métropole. Les dernières projections démographiques selon la langue parlée le plus souvent à la maison donnent des proportions allant de 46,4% à 50,3%[38]. Considérer les allophones comme un groupe éphémère dans l’espoir qu’un jour ils auront pour la plupart adopté le français, relève de l’utopie[39]. De même pour notre politique de régionalisation de l’immigration. Même si elle devait un jour réussir bien au-delà des espérances de MM. Bouchard et Taylor (RBT, 230-231), il entrera toujours assez d’immigrants de langues tierces à Montréal pour y assurer la croissance de la population allophone.
Bref, faits et projections démographiques sont bien réels, plutôt qu’imaginaires (RBT, 242), et importants, plutôt que triviaux (RBT, 216). Ils susciteraient normalement de l’inquiétude au sein de tous groupes humains. Ils ont déjà fait entrer le Québec sous un régime démographique que l’on pourrait qualifier de peau de chagrin. Je le dis sans détour, sachant très bien que dans le rapport Bouchard-Taylor, la peau de chagrin est associée à une attitude – «céder au parti de la peur, à la tentation du retrait et [du repli ouvrant] sur un avenir sans horizon» (RBT, 216) – plutôt qu’à une réalité toute crue.

NOTES ET RÉFÉRENCES
[1] Gérard Bouchard, «Les rapports entre l’individu, la société et l’État dans un contexte pluriethnique: à la recherche d’un modèle», L’Action nationale, LXXX-8, octobre 1990, 1047-1048.
[2] Durant ces années, l’ISF est remonté au-dessus de 1,6 enfant (sommet de 1,67 en 1992).
[3] L’ISF n’a été que de 1,62 et 1,65 enfant en 2006 et 2007 respectivement; on estime que la hausse devrait se poursuivre en 2008 (entre 2% et 3% de plus qu’en 2007); Chantal Girard, Le bilan démographique du Québec. Édition 2008. Démographie, Québec, ISQ, décembre 2008.
[4] Moyenne non pondérée des années 1976 à 2007 calculée dans un but heuristique.
[5] Jacques Henripin, «L’immigration et le déséquilibre linguistique», Ottawa, Information Canada, 1974, 44 p.
[6] La loi constitutionnelle de 1867 faisait de l’immigration un pouvoir partagé entre le gouvernement fédéral et celui de chaque province.
[7] Louis Lalande, «La revanche des berceaux», L’Action française, vol. II, n° 3, p. 98.
[8] Ibid., 100.
[9] Ibid., 102.
[10] Ibid., 104.
[11] Le duc de Connaugh, Gouverneur général du Canada à cette époque (1911-1916), réclamait «une immigration exclusivement britannique pour combattre la natalité canadienne-française»: Michel Brunet, Québec Canada anglais, deux itinéraires, un affrontement, Montréal, HMH, 1968, p. 215.
[12] Louis Lalande, loc. cit., p. 108. Au recensement de 2001, on a dénombré au Canada moins de 7 millions de personnes de langue maternelle française (document 97F0024XIF2001003).
[13] Marc-Adélard Tremblay, L’idéologie du Québec rural, Saguenay, Les classiques des sciences sociales, 2006, p. 20-22; http://classiques.uqac.ca/ en ligne le 25 octobre 2008.
[14] À l’école primaire, dans les années 1950, mes instituteurs répandaient encore ce mythe avec conviction.
[15] Jacques Henripin, «Une population vieillissante et menacée d’anémie», L’Action nationale, LXXIX-6, juin 1989, p. 664.
[16] ISQ, Population et composantes démographiques projetées, Québec, scénario A de référence. Perspectives démographiques, Québec et régions, 2001-2051, édition 2003.
[17] Marc Termote, Nouvelles perspectives démolinguistiques du Québec et de la région de Montréal, 2001-2051, Québec, OQLF, collection: «Suivi de la situation linguistique», étude 8, 2008, p. 131.
[18] Michel Paillé, «Un progrès continu. Nous assistons bel et bien à une progression de la vitalité du français au Québec», La Presse, 29 février 2008, p. A17.
[19] En 2006, «bien que la contribution des mères allophones francisées ajoutait près de 2 800 bébés (4,5%), il en manquait toujours un peu plus de 3 000 […] pour assurer aux francophones leur quote-part»; Ibid.
[20] ISQ, Population, accroissement quinquennal et répartition, Canada et provinces, 1951-2007.
[21] Marc Termote, op. cit., 98 (scénario de référence).
[22] Michael S. Teitelbaum et Jay M. Winter, The Fear of Population Decline, San Diego, Academic Press/Harcourt Brace Jovanovich, 1985, 201 p.; Teitelbaum est un démographe américain, Winter un historien britannique.
[23] Michael S. Teitelbaum et Jay M. Winter, A Question of Numbers : High Migration, Low Fertility, and the Politics of National Identity, New York, Hill and Wang, 1998, 290 p.
[24] Nos références à ce livre renvoient à la traduction française: Une bombe à retardement? Migrations, fécondité, identité nationale à l'aube du XXIe siècle, Paris, Calmann-Lévy, 2001, 366 p.
[25] Ce ne sont jamais toutes les populations qui sont concernées. Dans le cas particulier des populations confrontées à l’Islam, Teitlebaum et Winter précisent que les craintes ne sont dues qu’à «un très petit nombre de fondamentalistes» (A Question, 321).
[26] Grande-Bretagne, Pays-Bas, Danemark, Norvège, France, Allemagne, Belgique, Autriche, Australie, Etats-Unis et le Canada (RBT, 42).
[27] «In Canada, there are evident concerns about the balance between the two major linguistic groups», The Fear, 136.
[28] «[…] increasing immigration to compensate for low Canadian fertility presents the difficulty that in the past immigrants have resisted adoption of the French Language», ibid.
[29] D’après les projections de Termote (op. cit.), on peut calculer que la population francophone de tout le Canada pourrait ne jamais dépasser 8 millions de personnes. Voir: Michel Paillé, «À quand 8 millions de francophones au Canada?», Impératif français, 24 septembre, 2008: http://www.imperatif-francais.org/bienvenu/
[30] Guy Bouthillier, L’obsession ethnique, Montréal, Lanctôt Éditeur, 1997, p. 37-56. Malgré tout, le Reform Party nouvellement apparu, proposait au début des années 1990, de réduire de moitié l’immigration internationale à destination du Canada (A Question, 252-253).
[31] Selon eux, les «nations impériales» seraient pourvues d’une assurance quant à leur avenir, ce qui ne seraient pas le cas des «petites nations minoritaires», RBT, 243!
[32] Peur, insécurité, incompréhension, angoisse, émoi, émotion, émotivité irrationnelle, inquiétudes identitaires, malaises, frustrations, crispation, braquage identitaire.
[33] Gilles Bourque, «L’insécurité d’un groupe ethnique», Le Devoir, 31 juillet 2008, p. A 6.
[34] Sur une base décennale, la période 1954-1963 donne la plus forte moyenne annuelle de naissances.
[35] Sans compter que la majorité des immigrants adoptait alors l’anglais.
[36] Le gouvernement du Québec prévoit 55 000 immigrants en 2010. Les motifs invoqués pour un tel objectif, notamment les besoins en main-d’œuvre, devraient conduire à des hausses au-delà de 2010.
[37] Michel Paillé, «L’incontournable francisation des immigrants adultes», L’Action nationale, XCVIII, 9 et 10, novembre-décembre 2008, p. 36-43.
[38] Marc Termote, op. cit., 145.
[39] Ibid., 95-96.
Pertinence et légitimité de la démographie dans le domaine linguistique

Michel Paillé, http://michelpaille.com/

Article paru dans L’Action nationale, XCIII-7, septembre 2003, p. 170-204.

«Quand on dit de deux objets que ce sont des livres, on n’affirme pas qu’ils sont identiques, mais que ce ne sont, par exemple, ni des lits ni des coussins.»
Danielle Juteau, L’ethnicité et ses frontières, 1999

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Dans cet article, nous voulons faire état des fondements de la démolinguistique. Nous procéderons en deux temps. Dans la première partie, nous donnerons une brève description de la démolinguistique, une spécialisation mal nommée de la démographie. Nous insisterons sur le facteur particulier qui participe à la dynamique de tout groupe humain caractérisé par une langue : la transmission au foyer de toutes langues d’une génération aux suivantes.

Dans la seconde partie, nous situerons la démolinguistique dans le contexte particulier de la politique linguistique du Québec. Nous montrerons, que par des moyens de nature publique, la francisation générale de la vie sociale au Québec devrait conduire graduellement, comme l’a souhaité à l’origine le législateur, à l’adoption en toute liberté du français dans la vie privée par des non-francophones. C’est en illustrant la légitimité de la démolinguistique que nous pourrons contrer l’opinion voulant qu’elle repose sur un double dessein d’»assimilation» et d’»exclusion» des non-francophones. Enfin, nous nous pencherons brièvement sur la situation particulière de l’île de Montréal.

1. INTRODUCTION À LA DÉMOLINGUISTIQUE
Comme toutes les disciplines, la démographie compte de nombreuses spécialisations. Si on reconnaît d’emblée le spécialiste de la fécondité, de la mortalité et des migrations – ce sont là les trois facteurs de changement numérique de toute population humaine ou animale – ce n’est pas toujours le cas de ceux qui s’intéressent à l’épidémiologie, à la condition féminine ou aux groupes linguistiques.

Étant donné l’histoire linguistique du Canada et du Québec, la démolinguistique est une spécialisation de la démographie bien en vue ici depuis longtemps. Des ouvrages de démolinguistique ont accompagné les interventions du gouvernement fédéral en matière de langue. Rappelons-nous le contexte de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1), de la Loi sur les langues officielles votée dans les années 1960, ainsi que celui de la Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 1982. Des études en démolinguistique ont également suscité la réflexion et conduit le gouvernement québécois à mettre sur pied la Commission d’enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec (2) à la fin des années 1960, à faire voter la Loi sur la langue officielle (projet de loi 22), à adopter la Charte de la langue française (projet de loi 101) dans les années 1970, etc.

L’un des pionniers en ce domaine, Hubert Charbonneau, disait de cette spécialisation qu’elle était mal nommée (3). En effet, le suffixe donne l’impression qu’il s’agit d’une spécialisation de la linguistique plutôt que de la démographie. Il faut toutefois comprendre que ce mot est apparu à une époque où d’autres spécialités (notamment la psycholinguistique, la neurolinguistique et, surtout, la sociolinguistique) auraient influencé la création d’un néologisme de même genre. Quoi qu’il en soit de leurs origines, le mot et la spécialisation ont pris la place qui leur revenait. Retenons que la démolinguistique, c’est tout simplement «l’étude démographique des groupes linguistiques» (4).

Que dire cependant du barbarisme «démo­linguiste»? Présenté quelques fois sous ce vocable, nous l’avons récusé et remplacé par «démographe». S’il fallait nommer différemment tout spécialiste au sein de chaque discipline, on se retrouverait devant une panoplie de termes qui isoleraient les chercheurs par petits groupes de quelques individus. Puisqu’il ne vient à l’esprit de personne d’appeler «migratologue» le spécialiste des migrations, ni de nommer «gérontographe» celui qui s’intéresse au vieillissement de la population, nous ne voyons pas pourquoi le démographe, le sociologue ou le mathématicien qui s’intéressent aux groupes linguistiques deviendraient des «démolinguistes». À l’instar du linguiste français Robert Chaudenson, il faut voir le soi-disant démolinguiste «comme le yéti ou le monstre du Loch Ness» (5).

Cerner les groupes linguistiques
Les effectifs d’une population sur un territoire varient selon l’accroissement naturel (les naissances moins les décès) et selon l’accroissement migratoire (les immigrants moins les émigrants) (6). Lorsqu’il s’agit d’une population dont on distingue les caractéristiques linguistiques, tout changement est d’abord causé par l’effet des mêmes facteurs, lesquels peuvent agir différemment sur les effectifs de chaque groupe linguistique. Ainsi, tel groupe aura une fécondité plus faible, tel autre aura une propension plus forte à migrer, etc.

En outre, le chercheur devra tenir compte du fait que certains individus effectuent un passage de leur groupe linguistique d’origine à un autre. D’un point de vue technique, ce passage s’apparente tout simplement à une migration à l’intérieur du même territoire. En effet, de la même façon que l’on peut migrer de la région A à la région B au cours d’une période, il est aussi possible de préférer l’usage d’une langue à une autre, pour ainsi passer du groupe linguistique J au groupe K. Bref, dans ses éléments fondamentaux, la démolinguistique est calquée sur la démographie.

La recension des groupes linguistiques pose toutefois une difficulté. À défaut de les définir, comment les cerner, comment les saisir? D’emblée, reconnaissons qu’il n’y a pas de manière objective de procéder, car les données parfaites à cet égard n’existent pas. Contrairement au sexe, à l’âge ou au lieu de résidence principale, la dimension linguistique d’une société ne se laisse pas baliser naturellement. On comprendra aisément qu’il est plutôt facile de classer des personnes selon leur sexe ou selon leur âge, deux critères où les catégories sont mutuellement exclusives et qui sont définis de la même façon en tout temps et en tous lieux.

Étant donné que l’usage d’une langue n’est pas nécessairement exclusif, puisque l’intensité de celle que l’on emploie le plus souvent peut varier d’un individu à un autre, et comme une personne bilingue peut faire un choix selon le lieu où elle s’exprime, voire selon son interlocuteur, tenter de saisir la réalité dans toutes ses dimensions à la fois, relève du prodige, voire de l’utopie. C’est pourquoi le chercheur devra limiter son objet et simplifier le corpus qu’il doit décrire et analyser.

Au Canada, on a convenu depuis longtemps de répartir les groupes linguistiques en trois catégories. En reclassant les personnes qui donnent plus d’une réponse, on obtient les groupes suivants : francophones, anglophones et allophones, ce dernier terme regroupant, pour «éviter des circonlocutions embarrassantes» (7), les locuteurs de l’ensemble des langues qui n’ont pas de statut officiel au Canada. Ces regroupements n’ont qu’un but opératoire dans la description et l’analyse des données. Outre que chacun des trois groupes linguistiques ainsi constitués n’a rien d’homogène (y compris, comme nous le préciserons plus loin, la majorité francophone du Québec), il faut garder à l’esprit que de nombreuses personnes parlent plus d’une langue.

De la langue maternelle à la langue parlée le plus souvent
Jusqu’au recensement de 1966 inclusivement, nous ne disposions que d’une seule variable sur les groupes linguistiques. Il s’agissait de la langue maternelle, c'est-à-dire de la «(p)remière langue apprise à la maison dans l'enfance et encore comprise par le recensé au moment du recensement» (8). Puisque les réponses obtenues renvoient à l’enfance des personnes dénombrées, il s’ensuit que l’image globale qui en résultait n’avait pas la même contemporanéité que toute autre question formulée au présent.

Afin de connaître les langues effectivement utilisées au moment même de tout recensement, une question portant sur la langue en usage à la maison a été introduite dans celui de 1971. Suggérée par la Commission Laurendeau-Dunton (9), cette nouvelle question était alors posée en ces mots : «Actuellement, quelle est la langue que vous parlez LE PLUS SOUVENT à la maison» (10). Au milieu des années 1970, le Québec a introduit à son tour une question sur la langue d'usage dans ses questionnaires qui concernent les naissances et les décès. Fort de ces différentes sources statistiques complémentaires, la prospective démolinguistique était facilitée.

Depuis le recensement de 1971 – à l’exception de celui de 1976 –, les chercheurs disposent donc de deux variables linguistiques qui, comparées l’une à l’autre, permettent de mesurer périodiquement les changements de comportements linguistiques des personnes recensées. Précisons qu’il est faux d’affirmer que la ventilation des données sur la langue maternelle par celles portant sur la connaissance du français et de l’anglais donnerait aussi une mesure des changements d’usage linguistique (11). Si ce type d’information permet de dénombrer ceux qui s’estiment aptes à soutenir une conversation dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada, il ne donne aucun renseignement quant à l’usage effectif qui en est fait.

Puisque nous avons deux variables témoignant de l’emploi des langues à des moments différents, il est alors possible de dénombrer les changements de comportements dans l’usage des langues. Cette manière de faire est de même nature que toute comparaison entre les réponses à une question rédigée au passé et celles données à une question formulée au présent. Par exemple, en comparant le lieu de naissance au lieu de résidence des personnes recensées, on peut faire l’étude des migrations résultantes (12) portant sur l’ensemble de la vie déjà écoulée.

Transmettre la langue aux générations suivantes …
Plusieurs expressions servent à nommer ce que l’on observe en comparant les données sur la langue la plus souvent parlée à la maison à celles sur la langue maternelle. Pour identifier le phénomène lui-même, on emploie l’expression «mobilité linguistique». Les événements, quant à eux, sont appelés «transferts ou substitutions linguistiques» (13). Ainsi, les transferts sont à la mobilité ce que les naissances sont à la fécondité, ou comme les décès sont à la mortalité.

Il n’a toutefois pas été nécessaire d’attendre jusqu’en 1971 pour observer que des personnes avaient changé de comportement linguistique au cours de leur vie. Outre le rapprochement que l’on pouvait faire autrefois entre l’origine ethnique et la langue maternelle (14), il était également possible de distinguer au moins deux générations dans les données sur la langue maternelle. En effet, l’analyse des réponses par groupes d’âges, a permis de comparer la langue maternelle des jeunes enfants à celle des adultes les plus susceptibles d’être leurs parents (15).

Des études ont montré que de nombreux adultes de langue maternelle française avaient des enfants de langue maternelle anglaise. Un tel constat permettait d’induire que ces enfants avaient été élevés dans des foyers où l’anglais était la langue dominante, voire la seule langue parlée. Manifestement, des adultes de langue maternelle française faisaient usage de l’anglais au foyer, surtout dans les familles où les conjoints étaient de langues maternelles différentes. L’introduction d’une question sur la langue la plus souvent parlée à la maison en 1971 a permis de vérifier le bien fondé de cette manière de comprendre, de décrire et de mesurer cet aspect de la dynamique démographique des groupes linguistiques (16).

Statistique Canada est donc pleinement justifié de préciser, lors des recensements, que «(d)ans le cas d'un enfant n'ayant pas encore appris à parler, (il faut attribuer) la langue parlée le plus souvent à la maison à cet enfant» (17). On reconnaît ainsi très explicitement que la langue la plus parlée en famille, plus particulièrement celle de la mère, devient la langue maternelle de la génération suivante. On peut donc conclure à l’importance de la langue de la vie familiale pour saisir, d’un point de vue démographique, la dynamique des groupes linguistiques.

… comme transmettre l’ethnicité
D’ailleurs, la langue n’est pas le seul élément qui se transmet ainsi d’une génération à la suivante. En effet, de la même façon que l’enfant naît sans langue, il arrive aussi au monde sans ethnicité. Selon l’approche de Max Weber, l’»ethnicité n’est pas un donné, (…) n’est pas définie une fois pour toutes et (n’est pas) transmise héréditairement» (18). D’une manière encore plus évidente, la langue n’est rien de tout ça non plus. L’ethnicité, comme la langue qui en est l’une des caractéristiques, se transmettent par la socialisation au sein de la famille, là où la mère joue un rôle prépondérant. «Sans socialisation des nouveau-nés, pas d’hominisation, pas d’ethnicisation; sans mères, pas de socialisation» (19). Il va sans dire que la mère n’est pas seule : le père, la famille tant nucléaire qu’élargie, la communauté, le village ou le quartier urbain où l’enfant grandit, interviennent aussi, à des degrés divers, dans la transmission de la langue, de l’ethnicité, des valeurs, etc. Cette approche wébérienne de la famille contredit l’idéologie matérialiste faisant du foyer familial un simple dortoir où la langue n’aurait aucune importance, puisque la nuit «une bonne partie de la population est endormie» (20).

Bref, si nul ne vient au monde d’ethnie écossaise, acadienne ou maure, nul non plus ne naît francophone, arabophone ou magyar. On est issu d’une ethnie, voire de deux, on parle une ou deux langues, non pas de manière héréditaire, mais plutôt selon la famille où l’on a été élevé (21). Cela se constate aisément chez les enfants issus de l’adoption internationale : ils ont tout de leur famille d’adoption, rien de leur famille d’origine. S’»il n’y a pas d’essence ethnique» (22), il n’y a pas d’essence francophone non plus. En situant sa propre dynamique intergénérationnelle au sein de la vie familiale, la démolinguistique n’a fait qu’emprunter à la sociologie.

Bien que l’ethnicité et la langue soient deux dimensions très importantes dans la transmission de l’identité (des identités) ou de l’appartenance (des appartenances) d’une génération à la suivante, il importe de préciser que la démolinguistique ne peut pas faire d’adéquation entre les langues les plus souvent parlées à la maison et les identités linguistiques qui pourraient leurs être rattachées. Au Québec, la «majorité francophone» ne se limite pas aux seules personnes parlant le plus souvent le français à la maison; à l’inverse, toute personne faisant du français sa langue d’usage habituelle au foyer ne s’identifie, ni nécessairement, ni exclusivement au groupe d’expression française.

Bref, bien que l’on puisse admettre que la francophonie québécoise soit largement tributaire de quatre siècles d’histoire conduisant, en 2001, à 5,8 millions de personnes faisant le plus souvent usage du français au foyer, on ne peut pas limiter celle-là à ceux-ci. Nous faisons nôtre, mutatis mutandis, la phrase de Danielle Juteau placée en exergue en affirmant que deux personnes qui s’expriment en français à domicile ne sont pas semblables à tous points de vue pour autant. La langue qu’elles parlent ailleurs qu’au foyer, et l’identité qu’elles s’attribuent et qu’on leur reconnaît peuvent différer totalement. Oublier cette inadéquation conduit, comme on le verra plus loin, à attribuer à la démolinguistique des attitudes d’assimilation et d’exclusion qu’elle n’a pas.

Une exogamie linguistique oubliée
L’importance de la famille dans la transmission des langues d’une génération à la suivante oblige à regarder d’un peu plus près un phénomène particulier. Il s’agit des unions entre personnes de langues différentes. Outre que des conjoints de même langue peuvent librement choisir de parler l’une des langues les plus répandues dans leur milieu, des époux de langues différentes doivent faire un choix. Qu’il s’agisse d’une décision délibérée marquée d’une forte volonté de la maintenir, ou qu’il s’agisse d’un comportement laissé au gré des circonstances sans y attacher trop d’importance, ces choix libres ont des effets sur l’avenir numérique des groupes linguistiques et de leurs poids relatifs.

Trois situations particulières peuvent être décrites sommairement. D’abord, les deux personnes comprennent chacune la langue de l’autre; les enfants du couple auront alors deux langues maternelles; ces deux langues pourraient être, par exemple, le français et l’anglais. Ensuite, l’une des deux langues est comprise et parlée par l’un des conjoints; les enfants apprendront cette langue dans leur petite enfance; la langue en question pourrait être le français ou l’anglais. Enfin, les conjoints peuvent s’exprimer dans une troisième langue; c’est celle-ci qui deviendra la langue maternelle des enfants; comme dans le cas précédent, la langue transmise aux enfants pourrait être le français ou l’anglais. Il va sans dire que dans ces cas d’espèce, une ou deux langues tierces pourraient être transmises aux enfants, de pair ou non avec le français ou l’anglais, voire, les deux à la fois.

Les minorités francophones du Canada anglais connaissent très bien toute l’importance de l’exogamie linguistique dans l’érosion de leurs effectifs. Au Québec, par contre, l’apport positif de ce facteur est très bien connu pour la minorité anglophone, mais plutôt mal apprécié, tant dans notre histoire que pour notre avenir, pour ce qui est de la majorité francophone.

Dans le cas des minorités francophones des autres provinces et des territoires canadiens, environ la moitié des enfants qui ont un droit constitutionnel de faire leurs études primaires et secondaires en français ont été élevés en anglais par leurs parents (23). Outre que la fécondité n’assure plus depuis 30 ans le remplacement complet des générations, une importante partie des enfants qui voient le jour sont anglicisés, ce qui fait que «les jeunes enfants francophones y sont grosso modo moitié moins nombreux que la génération de leurs parents» (24).

La majorité francophone du Québec, quant à elle, reconnaît bien spontanément l’apport démographique amérindien et irlandais dans sa courte histoire. Toutefois, des expressions du genre «repli frileux (sic) sur soi» (25), «société tricotée serrée», «francophones de souche» ou, pire encore, «francophones pure laine», courent toujours. Sait-on qu’en 1991 nous comptions, parmi les Québécois qui s’exprimaient le plus souvent en français à la maison, près de 690 000 personnes qui se reconnaissaient d’»origine autre que française, (…) francophones d’adoption ou (…) tout simplement (…) immigrants venus s’ajouter à notre famille de locuteurs français» (26)?

Réalise-t-on pleinement que ces «Québécois francophones (…) tricotés de laines étrangères» (27), et dont le nombre est nettement sous-estimé (28), formaient plus de 12% de la population totale du Québec, une part non négligeable de la majorité d’expression française? En comparaison, il est bon de noter, qu’au début des années 1990, le Québec dénombrait 764 800 anglophones et 591 200 immigrés (29); le Canada anglais comptait, quant à lui, 636 600 personnes s’exprimant en français au foyer (30). En dépit du mythe d’une nation recroquevillée et de l’opposition de l’Église aux unions avec des non-catholiques, le Québec français des siècles passés a manifesté, par le truchement des mariages mixtes, une remarquable ouverture aux autres.

Une exogamie qui ne peut que se poursuivre
Cette ouverture à l’autre se poursuit toujours. En témoignent, les données annuelles de l’Institut de la statistique du Québec sur les mariages religieux et civils. Bien que ces données n’incluent pas les unions libres, elles reflètent très bien le fait que les communautés linguistiques d’ici ne sont pas, et de loin, des ensembles fermés les uns aux autres.

Au début des années 1980 (31), environ le quart des femmes allophones ont épousé un homme n’ayant pas la même langue maternelle qu’elles. Leurs époux étaient presque aussi nombreux à être issus du groupe anglophone que du groupe francophone, avec un léger avantage pour ce dernier. Chez les femmes de langue maternelle anglaise, l’exogamie linguistique était un peu plus forte, soit 28%. Leurs conjoints francophones étaient beaucoup plus nombreux que les conjoints allophones (2414 contre 1136). Puisque majoritaires, les femmes du groupe francophone ne pouvaient pas, mathématiques obligent, être aussi exogames. Néanmoins, en faisant les calculs de manière à tenir compte du maximum de mariages mixtes possibles, on découvrait que le comportement des francophones était semblable à celui des allophones (24,7 % en comparaison de 25,3%). Ces femmes ont préféré choisir un mari anglophone à un mari allophone (3211 contre 2390) (32).

Une décennie plus tard (années 1990, 1991 et 1992), l’intensité globale des mariages mixtes au Québec avait augmenté, passant de 9% à près de 14%. Cette augmentation a été le fait des francophones et des anglophones. Les femmes de la majorité d’expression française ont été presque aussi nombreuses à épouser un allophone qu’à marier un anglophone (2735 contre 2692). Près de 32% des femmes de langue maternelle anglaise ont préféré un mari d’une autre langue, toujours largement en faveur d’un francophone (2145 contre 1110). Enfin, notons que les femmes allophones ont été relativement moins nombreuses (22%) à épouser un francophone ou un anglophone (33) que celles qui se sont mariées 10 ans plus tôt.

Les mariages, et sans doute aussi les unions libres, entre personnes de langues différentes sont une réalité que l’on ne peut nier. Avec la scolarisation en français des enfants d’immigrants, il y a gros à parier que ce facteur deviendra plus important chez les francophones. Fort de ce constat incontournable, on ne peut pas imaginer que les descendants des 732 200 allophones recensés au Québec en 2001 seront tous de la même langue maternelle que leurs ancêtres. Bien qu’il soit possible qu’en vertu d’une suite d’unions endogames, quelques filons allophones subsistent pendant quelques générations, il va sans dire qu’il ne pourra pas en être ainsi de la très grande majorité. Graduellement, des milliers d’allophones parleront davantage le français au foyer, faisant ainsi de leurs enfants des Québécois de langue maternelle française plutôt que de langue maternelle anglaise comme jadis.

La langue d’une génération d’adultes qui est transmise à la suivante, joue un rôle démographique important dans toute société. A fortiori, elle prend beaucoup d’importance dans le cas d’un groupe linguistique qui n’assure plus depuis 30 ans, son propre renouvellement naturel. Il n’est donc pas indifférent, pour l’avenir démographique du groupe francophone, que les enfants, les petits-enfants et les descendants des allophones du Québec d’aujourd’hui, reçoivent davantage le français en héritage que jadis. Il en va du succès à long terme de notre politique d’immigration internationale dont deux des objectifs avoués sont «le redressement démographique» (34) et «la pérennité du fait français» (35).

2. LÉGITIMITÉ DE LA DÉMOLINGUISTIQUE
Sans rechercher l’exhaustivité, nous montrerons, dans les pages qui suivent, la légitimité de la démolinguistique. Il importe de le faire pour répondre à des critiques qui l’ont déformé afin de mieux la discréditer. Le premier aspect que nous aborderons concerne le prétendu «non-respect du droit à la vie privée» (36) qui découleraient de l’examen des données portant sur la langue parlée le plus souvent à la maison. Ensuite, nous prendrons acte des intentions prêtées à la démolinguistique de vouloir «assimiler» les non-francophones et d’»exclure» ceux qui échappent à l’assimilation. Enfin, nous nous pencherons sur la nécessité qu’il y aurait de ne pas distinguer l’île de Montréal de ses banlieues.

Une intrusion dans la vie privée?
Pour soutenir l’idée voulant que les chercheurs n’aient pas à s’introduire dans la vie privée des personnes, on a fait remarquer que la Charte de la langue française ne visait et ne vise toujours que le domaine public (37). En témoignerait, le préambule de la Charte de la langue française qui affirme l’intention de l’Assemblée nationale du Québec de faire de la langue française «la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires» (38). Reconnaissons sans ambages que rien dans la Charte de la langue française ne touche directement à la vie privée des résidents du Québec.

Cependant, prétendre à partir de ce simple constat que la démolinguistique va trop loin du fait qu’elle repose sur la langue parlée le plus souvent à la maison est un argument spécieux. Dans notre régime démocratique, aucune loi ne touche directement, dans son libellé même, à la vie privée des personnes. La Charte de la langue française n’est, en aucune façon, une exception du seul fait qu’il s’agit de langue.

Les objectifs de nature publique contenus dans la loi 101 sont autant d’instruments pour créer, au Québec, un climat linguistique favorable au français. Ce nouveau climat renverserait, à moyen et à long termes, des tendances lourdes jusque-là favorables à l’anglais, tendances qui ne pouvaient pas être modifiées par une intervention directe de l’État (39). En 1977, le législateur avait à l’esprit un portrait fort détaillé de la situation du français qui prévalait au Québec dans les années 1970. Son intervention allait dans le sens d’un redressement de la situation. Il l’a exprimé dès les premières pages de l’énoncé de politique (40) publié cinq mois avant l’adoption de la Charte de la langue française, énoncé qui a fait l’objet d’un très large débat où les démographes ont pris une place importante (41).

D’emblée, le législateur a observé que «les immigrants s’intègrent très souvent au groupe anglophone, particulièrement dans la région métropolitaine de Montréal (…) où vit la moitié de la population québécoise». Or, comme «l’immigration est appelée à jouer un rôle de plus en plus important dans l’accroissement démographique», il conclut que, dans un contexte de faible fécondité, «il fallait orienter les options linguistiques des immigrants». Après avoir compris que «(l)’intégration d’une grande partie des immigrants au groupe anglophone (venait) du fait que le pouvoir d’assimilation du groupe dominant est toujours plus fort que celui du groupe dominé», l’énoncé gouvernemental conclut que «(l)’intégration spontanée des immigrants à la communauté francophone ne pourra donc être possible que si la société québécoise elle-même est globalement francisée». C’est à cette condition «que la plupart des immigrants comprendront que leur intérêt les pousse à se solidariser avec la communauté francophone» (42).

Dans l’un des nombreux discours qu’il a prononcés en 1977, le parrain de la Charte de la langue française, M. Camille Laurin, a donné l’exemple de l’anglicisation des minorités francophones hors Québec. Après avoir rappelé que «près de la moitié des effectifs d’origine française répandue au Canada, hors Québec, a dû abandonner sa langue (pour des pertes) sensiblement égales à l’ensemble de la population du Nouveau-Brunswick», il en attribue la cause globale à «la pression du milieu» (43). En clair, cette relation de cause à effet indique que la langue dominante dans le domaine public trouve un écho dans la vie familiale, en particulier dans celle des immigrants et de leurs enfants dont la grande majorité n’est pas de langue française.

Outre ses discours, le ministre a déposé de nombreuses études à l’Assemblée nationale. Parmi celles de nature démolinguistique, il s’en trouve une qui comparait la force relative du français au Québec à celle de l’anglais en Ontario. D’après le recensement de 1971, l’auteur a calculé que si la langue française au Québec avait exercé un pouvoir d’attraction sur les allophones aussi fort que l’anglais en Ontario, on aurait recensé 150 100 transferts linguistiques vers le français au lieu des 34 600 que l’on a effectivement dénombrés (44). La mise à jour la plus récente montre, qu’après 25 ans d’aménagement linguistique, «le Québec a comblé environ le cinquième de l’écart qui le séparait de l’Ontario dans les choix linguistiques des allophones» (45).

Des moyens d’ordre public pour un objectif privé
Une comparaison avec nos politiques de lutte contre l’usage du tabac aidera à faire comprendre que la Charte de la langue française, comme bien d’autres lois, n’a pas que des objectifs de nature publique.

À la fin des années 1990, le Canada et le Québec, comme d’autres provinces canadiennes, se sont dotés de lois, de règlements et de programmes pour contrer le tabagisme. Dans la loi québécoise par exemple, toutes les mesures qui s’y trouvent ne concernent que le domaine public (46). On y traite notamment de la composition du tabac ainsi que de la vente, de la promotion, de la publicité et de l’emballage des produits du tabac. En dépit de quelques contraintes, la loi n’interdit formellement à personne de fumer.

Si quelques-unes de ces mesures constituent des objectifs en soi ­– c’est le cas de la qualité de l’air dans certains lieux publics pour le bien-être des non-fumeurs –, la plupart ne sont que des moyens pour atteindre l’objectif premier de toute lutte antitabac. Selon Santé Canada, on vise tout simplement à «inciter les Canadiens à cesser de fumer» et à inviter les jeunes à ne jamais commencer (47). Bref, à l’aide de moyens d’ordre public, l’objectif ultime est de nature privée : amener des personnes à changer une habitude de vie personnelle.

Afin de mesurer les effets de cette politique, on ne saurait se limiter à la lettre des lois, des règlements et des programmes. Ne vérifier que la conformité des entreprises et des individus aux normes, aux restrictions et aux interdits ne révélerait rien sur le succès, ou sur l’échec, de l’objectif ultime recherché par ces politiques. Pour aller au fond des choses, les chercheurs doivent interroger un échantillon représentatif de personnes sur leur consommation passée et présente des produits du tabac. Effectivement, une enquête nous a appris, qu’au sein de la population canadienne, la proportion de fumeurs a sensiblement baissé chez les 15 ans ou plus, passant de 35% en 1985 à près de 21% aujourd’hui (48).

Comme il est légitime d’interroger des personnes afin de vérifier que les investissements dans la lutte au tabagisme ont amené d’anciens fumeurs à décider librement de cesser de fumer pour leur propre santé et celle de leur entourage, il est tout aussi justifié de se pencher sur les choix linguistiques des personnes dans leur foyer afin de mesurer les effets induits, à plus long terme, d’une politique linguistique et des programmes de francisation des immigrants. En autant que la confidentialité des informations de nature privée que l’on obtient à des fins de recherche soit respectée, tout gouvernement est en droit de connaître et de faire connaître les résultats de ses politiques, y compris celles sur la langue.

Voudrait-on «assimiler» les allophones ?
Outre que l’étude de la langue d’usage au foyer est perçue par certains comme une intrusion dans la vie privée, elle est également vue comme étant suscitée par un «modèle assimilationniste (sic)» des immigrants, par opposition au «modèle d’intégration pluraliste» (49). Aux dires de certains, nous devrions trouver dans le soi-disant modèle d’assimilation, une attitude allant à l’encontre de toute politique d’immigration ouverte sur le monde et respectueuse des langues et des cultures des ressortissants étrangers que nous accueillons.

Le petit Robert définit l’assimilation comme étant l’»action de rendre semblable par intégration». Il donne ensuite l’exemple de «l’assimilation progressive des immigrants, des naturalisés». Retenons qu’il s’agit essentiellement de «rendre semblable» et, aussi, que l’intégration pluraliste si chère à nos critiques, y conduit avec le temps!

Notons d’emblée que l’anglicisation de millions d’immigrants venus s’installer aux États-Unis, au Canada anglais et même au Québec avant les années 1970, allait de soi. Si cette anglicisation fut jadis qualifiée d’assimilation, le mot comme le concept n’avaient pas la connotation péjorative qu’ils ont aujourd'hui. Dans le cas particulier de l’histoire des provinces de l’Ouest canadien qu’il fallait peupler, «(à) défaut d’Anglais, on fabriquerait des anglophones» (50) avec tous ces immigrants portant des «unpronounceable names» (51). Comme ce phénomène advenait tout naturellement, toutes les études sur le sujet étaient inoffensives car elles ne faisaient que rendre compte de la somme des décisions personnelles et entièrement libres pouvant aller jusqu’à la traduction du patronyme (52).

Étudier les effets induits de la politique linguistique du Québec sur l’usage des langues au foyer serait désormais suspect dans un contexte de revalorisation des langues et des cultures. On a salué les études de sociolinguistique portant sur les progrès du français au travail, dans les services, dans les commerces ou dans l’administration publique; on a lu avec intérêt des ouvrages de démographie montrant l’inscription graduelle et soutenue des enfants d’immigrants dans les écoles françaises; on a même très bien accueilli des publications révélant l’amélioration des revenus chez les travailleurs francophones, objectif tout à fait absent de la Charte de la langue française, mais explicitement visé dans une optique de «justice sociale» (53).

Mais pour ce qui est de quelques ouvrages de démolinguistique, notamment les projections, ils donnent souvent lieu à des commentaires très négatifs. Ces réactions diffèrent fortement de celles qui prévalaient au temps où l’anglais dominait largement. Faudrait-il comprendre de ce double standard que l’apport anémique de 3 700 transferts linguistiques nets en faveur du français remarqué il y a 20 ans relevait du noble «modèle d’intégration pluraliste» sans doute parce que l’anglais faisait 28 fois mieux (54)? Faudrait-il comprendre aussi, qu’en 2001, des gains nets inférieurs à 47 000 personnes (55) (encore loin de la quote-part qui devrait revenir au français) tiendraient d’une douteuse intention assimilatrice parce que désormais compétitrice de l’anglais?

Mais où est donc la manifestation concrète de ces deux modèles? Même s’il y avait dans notre société un affrontement réel entre tenants de l’intégration et tenants de l’assimilation, les premiers ne pourraient rien faire pour empêcher des personnes de modifier leur comportement linguistique à la maison, tandis que les seconds ne sauraient quoi mettre en œuvre pour accélérer et intensifier directement l’usage du français au foyer.

Dans une société ouverte comme la nôtre, des substitutions linguistiques sont tout autant susceptibles d’advenir que les migrations entre le Québec et le reste du Canada. Dans les deux cas, il y a pleine liberté d’action. La démolinguistique rend compte de ces deux facteurs, comme des autres par ailleurs, et mesure leurs effets numériques sur l’ensemble de la société québécoise. En vertu de quel diktat faudrait-il fermer les yeux sur l’un de ces facteurs, en l’occurrence, les changements d’usage linguistique?

«Exclure» ceux que l’on ne peut «assimiler»!
Parmi toutes les personnes qui ont en commun de parler la même langue à la maison, on pourrait sans doute distinguer, à la suite d’une enquête sociologique, de nombreux sous-groupes. Sans chercher à imaginer tous les types de situations possibles, nous tenterons d’en dégager les principaux.

Notons d’abord que les personnes qui ont cessé de comprendre leur langue maternelle échappent à l’observation de la démolinguistique. Puisque ces personnes ne peuvent même plus comprendre la première langue qu’elles ont apprise, elles doivent nommer la deuxième, probablement celle qu’elles utilisent le plus souvent au foyer. Cette exigence typiquement canadienne, inscrite dans la définition de la langue maternelle, a pour effet de ne laisser aucune trace de ce type de substitutions linguistiques dans les recensements. Il serait donc pour le moins paradoxal que la démolinguistique ne soit même pas en mesure de saisir ce que ses critiques qualifieraient eux-mêmes d’exemples d’»assimilation linguistique» les plus patents!

Mais que dire alors de ce que la démolinguistique peut effectivement observer à partir des recensements? Compte tenu de la diversité des personnes qui modifient leur comportement linguistique au foyer – pensons en particulier à l’âge, à la durée de résidence au Québec pour les immigrés, aux héritages laissés aux natifs par les générations précédentes, etc. – on peut admettre d’emblée de profondes différences. Par exemple, si les uns n’ont plus qu’une compréhension élémentaire de leur langue maternelle, d’autres en ont une excellente maîtrise. Si les uns n’utilisent jamais, ou presque, leur langue maternelle au foyer, d’autres, par contre, peuvent en faire usage quasi aussi souvent que de leur langue d’adoption.

Comme il n’est pas possible de faire de telles nuances à partir des données colligées lors des recensements, qualifier d’»assimilée» toute personne qui a fait du français sa principale langue d’usage au foyer, c’est appliquer à l’ensemble un qualificatif qui ne vaudrait ­que pour un segment. Voir dans la démolinguistique une discipline qui repose sur un modèle d’assimilation, c’est attribuer aux données statistiques portant sur la langue la plus souvent parlée à la maison, un caractère identitaire, un caractère essentialiste qu’elle n’a pas.

Outre que les critiques voient des «assimilés» chez ceux qui parlent plus souvent le français que leur langue maternelle, ils voient aussi des «exclus» chez ceux qui préfèrent toujours parler leur première langue à la maison. La démolinguistique adopterait une attitude d’exclusion envers toute personne ne parlant pas le français chez elle. Que ces personnes parlent le français à l’extérieur de leur domicile ne serait nullement pris en compte puisque, pour être considéré membre à part entière de la majorité francophone du Québec, il faudrait absolument s’exprimer en français au foyer (56)! Or, comme la démolinguistique ne prétend pas que la langue parlée au foyer est le critère exclusif pour «définir» la majorité francophone, l’argument ne tient pas.

Pour mieux discréditer la démolinguistique, chercherait-on à placer la langue d'usage au foyer sur un pied d’égalité avec tout autre attribut pouvant conduire à la discrimination ou à l’exclusion? On conviendra qu’il pourrait y avoir exclusion ou discrimination à l’embauche, dans la promotion au travail, ou lors de la location d’un appartement par exemple, sur la base de la couleur de la peau, de l’âge, du sexe ou d’un handicap. Mais comment pourrait-on faire subir le même sort à des personnes qui ne s’exprimeraient pas en français au foyer? Si une quelconque discrimination existait dans notre société relativement à la langue, c’est plutôt à partir de la langue maternelle, décelée ou présumée, qu’elle s’exercerait. Car il y a gros à parier que, pour tout xénophobe enclin à exercer un tel type de discrimination, le fait de parler le français à la maison, s’il était révélé, ne changerait rien à son comportement.

Montréal : la ville ou la région?
Dans le débat touchant l’avenir du fait français au Québec, Montréal occupe depuis plus de 10 ans, une place centrale. Tant et aussi longtemps que le poids des francophones se situait autour de 60 % dans l’île de Montréal – soit jusqu’au recensement de 1986 inclusivement –, nul ne s’opposait à l’intérêt que l’on pouvait lui porter. Mais dès que l’on a entrevu une diminution substantielle du poids des francophones (57), les réactions n’ont pas tardé (58). Cet aspect de la question démolinguistique mériterait, à lui seul, un long développement que nous ne pouvons pas faire ici. Néanmoins, il est possible et utile de l’aborder dans ses grandes lignes.

Certains observateurs affirment «que les analyses portant sur la langue parlée au foyer dans la seule île de Montréal présentent un portrait démolinguistique trompeur du Montréal francophone» (59). Il suffit de consulter quelques ouvrages en démolinguistique pour réaliser qu’ils débordent largement le cadre de l’île. C’est le cas par exemple des projections, dont les résultats couvrent, entre autres, l’île de Montréal, la couronne métropolitaine et l’ensemble de la région métropolitaine (60). Il est donc abusif de dire que la démolinguistique ne s’intéresse qu’à l’île. Au mieux, la critique s’exprime mal; au pire, elle souhaiterait que l’on cache, dans l’ensemble de la région métropolitaine, ce qu’elle ne voudrait pas voir de l’île de Montréal.

Que l’île de Montréal ne soit pas coupée du reste du Québec, en particulier du pourtour de la région métropolitaine, les ouvrages de démolinguistique l’ont admis tout naturellement depuis longtemps : «de nombreux francophones qui résident à l’extérieur de l’île de Montréal s’y rendent chaque jour pour travailler, renforçant ainsi la majorité d’expression française dans l’île» (61). C’est d’ailleurs en vertu de ces «migrations alternantes» (62) liées au travail que les limites des régions métropolitaines sont déterminées par Statistique Canada. Aux déplacements attribuables au travail, s’ajoutent tous ceux suscités par les loisirs, la consommation, les besoins en santé, les études collégiales et universitaires, etc.

Toutefois, une dimension importante échappe presque totalement à ces migrations quotidiennes : il s’agit du bassin de recrutement des écoliers inscrits dans les trois commissions scolaires francophones de l’île de Montréal. Sauf très rares exceptions, il n’y a pas d’échanges entre les enfants domiciliés dans l’île et ceux qui demeurent à l’extérieur, y compris à proximité comme à Laval ou à Longueuil. Il s’ensuit que, contrairement aux milieux de travail par exemple, la composition linguistique de l’ensemble des écoles de l’île reflète celle de la population qui y habite. Or, comme la plupart des écoliers s’inscrivent à proximité de leur demeure, il s’est formé au fil des ans un nombre de plus en plus important d’écoles où les enfants immigrés, ou nés de parents immigrés récemment, se retrouvent presque exclusivement entre eux (63).

La critique reste également silencieuse devant les nombreuses études portant justement sur ces écoles «à forte concentration ethnique». Puisque leurs bassins de recrutement se limitent principalement à quelques quartiers, il va sans dire que la référence territoriale de base est nettement inférieure à celle de l’île de Montréal. Si nous pouvons, en toute quiétude, nous intéresser aux «usages linguistiques qui ont cours entre les élèves lors des contacts informels» (64) dans des écoles à forte densité ethnique, nous ne voyons pas pourquoi il faudrait écarter toute réflexion de même nature à l’échelle de l’ensemble de la population de l’île (65).

Par ailleurs, retenir toute la population de la couronne métropolitaine de Montréal dans sa relation avec celle de l’île est pour le moins exagéré. Il y a gros à parier, qu’à cet égard, la contribution de la couronne à l’île de Montréal ne soit pas uniforme. D’une part, de nombreux travailleurs viennent dans l’île quotidiennement en provenance de Laval, de Longueuil et de l’île Perrot par exemple. D’autre part, des localités excentriques contribuent beaucoup moins à ces déplacements; c’est le cas par exemple de Saint-Jérôme au nord, de Beauharnois au sud et de Saint-Amable à l’est (66).

Réalise-t-on pleinement, qu’advenant une reprise de la baisse du poids des francophones qui demeurent dans l’île, il faudrait compter sur un nombre de plus en plus important de déplacements quotidiens pour au moins maintenir le poids des locuteurs du français? Encore faut-il que ces milliers de francophones de la couronne qui travaillent à Montréal aient des contacts en français avec des non-francophones dans l’exercice de leurs fonctions. À moins que l’on fasse reposer davantage l’avenir du français à Montréal sur un nombre de plus en plus important de personnes qui y résident et pour qui le français est une langue seconde, voire une troisième langue? Compte tenu de la propension de milliers de francophones à parler anglais dès qu’ils en ont l’occasion – si ce n’est qu’ils la suscitent eux-mêmes –, peut-on vraiment compter sur ces deux facteurs sans glisser vers un bilinguisme français-anglais si répandu qu’il ne manquerait plus que de le rendre officiel?

Quoi qu’il en soit du découpage territorial à retenir, ce qui importe, «c’est de déterminer qui parle à qui, dans quelle langue, où et dans quelles circonstances. Ce qu’il nous faut, ce sont des enquêtes sur les contacts linguistiques entre individus. Que l’on établisse clairement le degré de contacts en français des francophones de la couronne avec la population non francophone de Montréal» (67). En ce domaine, tout est à faire, car le seul essai qui a été tenté (68), outre qu’il n’a pas traité de cet aspect spécifique, présente ses résultats selon le lieu de résidence, même dans le cas des travailleurs, plutôt que selon le lieu d’occurrence.

CONCLUSION
Spécialité de la démographie, la démolinguistique est un domaine de recherche utile à la compréhension de la dynamique des groupes linguistiques qui composent une société comme le Canada en général et le Québec en particulier. Depuis les années 1960, cette discipline a joué un rôle important aux époques les plus marquantes de l’histoire linguistique tant canadienne que québécoise. Qu’il s’agisse de la politique canadienne à l’égard des minorités de langues officielles, ou qu’il s’agisse de la politique québécoise implantée pour assurer la pérennité de la langue française, la démolinguistique a guidé les législateurs aux étapes de la conception et de l’élaboration de leur politique linguistique respective.

Par la suite, la démolinguistique se devait, en toute légitimité, de constater et de mesurer les effets directs et indirects de ces politiques. En ce qui a trait à la langue d'enseignement, domaine d’intervention publique par excellence, elle a rapidement fait état des inscriptions dans les écoles où l’enseignement primaire et secondaire se donne dans la langue dont on voulait assurer numériquement un meilleur avenir. La démolinguistique s’est également penchée sur les effets induits des chartes et des lois, notamment sur la vitalité démographique des francophones, majoritaires au Québec, minoritaires dans le reste du Canada.

Vu la richesse des données statistiques canadiennes et québécoises, il est relativement aisé de distinguer, pour chaque groupe linguistique, un accroissement naturel (naissances moins décès) et un accroissement migratoire (immigrants moins émigrants) particuliers. De même pour les migrations intérieures, qu’il s’agisse des mouvements entre les provinces canadiennes ou entre les diverses régions du Québec par exemple. Pour faciliter le travail d’analyse dans des études générales, on a coutume au Canada de distinguer trois grands groupes linguistiques : les francophones, les anglophones et les allophones, ces derniers englobant l’ensemble des langues n’ayant pas de statut officiel.

À défaut de pouvoir «définir» des groupes linguistiques dont les «frontières» bougent sans cesse, il importe de les cerner ou de les saisir de manière à donner un sens à leur dynamique démographique. En jumelant les données concernant la première langue apprise dans l’enfance – appelée langue maternelle – à celles portant sur la langue parlée le plus souvent à la maison au moment d’un recensement, le chercheur est alors en mesure de distinguer les personnes qui font toujours usage de leur langue maternelle de celles qui ont changé de comportement.

Au Québec comme dans l’ensemble du Canada, les unions entre personnes de langues différentes ne sont pas négligeables. Si parfois les enfants issus de ces «unions mixtes» sont élevés dans les deux langues parentales, la plupart cependant auront pour langue maternelle celle que les parents auront choisie. Étant donné la force générale de l’anglais en Amérique du Nord, on a observé que la grande majorité des enfants des couples mixtes sont de langue maternelle anglaise, en particulier à l’extérieur du Québec. Ce mécanisme universel de transmission des langues des parents aux enfants, outre qu’il conduit à l’hétérogénéité des groupes linguistiques, peut modifier sensiblement l’importance d’une langue au sein d’une population, surtout dans le contexte d’une fécondité qui n’assure plus, depuis 30 ans, le renouvellement complet des générations.

Il va de soi que les pouvoirs publics s’intéressent aux effets indirects de leurs politiques linguistiques. Dans le cas de la Charte de la langue française, bien que les objectifs premiers du Québec concernent «la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires», elle vise aussi d’autres domaines de manière indirecte. En ce sens, la loi 101 ne fait pas exception à une règle générale voulant qu’en démocratie, aucune loi ne puisse toucher directement à la vie privée des personnes.

À l’instar de la Loi sur le tabac qui n’interdit pas formellement de fumer, la Charte de la langue française n’exige pas que l’on parle français, en particulier au foyer. Si la politique de santé qui a conduit à la première a pour objectif ultime d’amener des milliers de personnes à cesser de fumer ou à ne jamais s’adonner à cette pratique, la politique linguistique qui a mené à la seconde souhaite expressément que le français remplace désormais l’anglais comme langue d’adoption des familles issues de l’immigration internationale récente et à venir. C’est donc en toute légitimité que la démolinguistique s’est penchée sur les transferts linguistiques des derniers lustres, pour montrer qu’il y a effectivement eu progrès pour le français. En autant que la confidentialité des données est respectée, il n’y a pas intrusion dans la vie privée, ni de la part des pouvoirs publics qui colligent l’information, ni de la part des chercheurs qui en font l’analyse.

S’intéresser aux personnes qui ont librement choisi de parler plus souvent le français à la maison que leur langue maternelle n’est pas plus motivé par un dessein d’»assimilation» des immigrants qu’à l’époque où l’anglais dominait très largement. Dire de toutes ces personnes qui privilégient le français qu’elles sont «assimilées», c’est confondre quelques cas particuliers – et encore! – et un ensemble de situations fort variées que la démolinguistique ne peut pas saisir. Plutôt que de rejeter la démolinguistique en l’accusant d’aller à l’encontre d’une volonté politique d’»intégration pluraliste», il serait préférable de faire en sorte que la sociolinguistique prenne le relais. On saurait mieux, par exemple, ce que parler français chez soi signifie pour les personnes dont c’est la langue seconde, voire une troisième langue. On saurait sans doute mieux aussi que parler français au foyer enrichit sans appauvrir ceux qui désirent garder, voire aviver, les caractéristiques ethnoculturelles qui les distinguent.

Aussi, s’intéresser aux allophones qui parlent toujours leurs langues maternelles à la maison ne reflète pas une attitude d’»exclusion» de la part de ceux qui se sont spécialisés en démolinguistique. Corollaire de l’idée voulant que l’étude des transferts linguistiques se fasse dans une optique d’assimilation, la critique enferme la démolinguistique dans un cul-de-sac en lui prêtant le dessein d’exclure de la famille francophone toute personne ne parlant pas d’abord le français à son domicile. En somme, en ne voyant que des «assimilés» d’une part ou des «exclus» d’autre part, la critique a, inconsciemment, reclassé tous les Québécois à partir d’une caractéristique qu’elle a préalablement figée, voire réifiée : la langue maternelle. Puisque la démolinguistique repose essentiellement sur le mouvement, dont celui de la substitution linguistique, la critique se trouve alors à nier toute sa pertinence.

En prêtant aux données statistiques portant sur les langues les plus souvent parlées à la maison un caractère essentialiste, voire un caractère identitaire primordial, on ne pouvait qu’aboutir à ces concepts d’»assimilation» et d’»exclusion». Comme l’ethnicité, la langue – qui en est une caractéristique – n’est pas un donné héréditaire. L’approche de Max Weber montre qu’elle est plutôt un acquis découlant de la socialisation, de l’humanisation au sein de la famille. Si les frontières ethniques bougent, les frontières linguistiques bougent aussi, sans doute plus rapidement que les premières. L’une des tâches de la démolinguistique est justement de faire état de ces changements que la politique linguistique québécoise cherche à orienter, depuis un quart de siècle, en faveur du français.

Enfin, en ce qui a trait à la situation montréalaise, il faut regretter que les critiques formulées à ce jour ne soient pas aller jusqu’au bout de leur démarche. Outre qu’il est faux de dire que la démolinguistique ne s’est intéressée qu’à l’île de Montréal, compter sur les migrations quotidiennes en provenance de la couronne métropolitaine pour augmenter le bassin de francophones dans l’île exige quelques nuances. Encore faut-il faire remarquer que ce type de migrations ne touche pas les écoliers des ordres d’enseignement primaire et secondaire; encore faut-il ajouter aussi que les navetteurs en provenance de la périphérie de la couronne y contribuent beaucoup moins que ceux demeurant tout près de l’île; encore faut-il reconnaître enfin qu’il ne suffit pas que des milliers de francophones viennent dans l’île de Montréal chaque jour pour que leurs contacts linguistiques avec des non-francophones, si contacts il y a, se fassent en français. Il faut déplorer qu’en ce qui a trait à nos connaissances sur la langue commune entre personnes de langues différentes, tout soit encore à faire.

Notes et références
(1) Présidée par MM. André Laurendeau et Davidson Dunton.
(2) Présidée par M. Jean-Denis Gendron.
(3) Association des démographes du Québec, colloque sur «L’avenir des groupes linguistiques au Québec», Montréal, 24 novembre 1973; voir : Bulletin de l’Association des démographes du Québec, vol. 2, n° 4, décembre 1973, p. 54.
(4) Réjean Lachapelle et Jacques Henripin, La situation démolinguistique au Canada : évolution passée et prospective, Montréal, L’Institut de recherches politiques, 1980, p. 1.
(5) Robert Chaudenson, «Géolinguistique, géopolitique, géostratégie : le cas du français», Termino­gramme, n° 99-100, automne 2001, p. 364.
(6) Ces deux types d’accroissements doivent être compris dans leur sens algébrique, car ils peuvent être négatifs; voir : Roland Pressat, Dictionnaire de démographie, Paris, Presses universitaires de France, 1979, p. 2.
(7) Michel Paillé, «La guerre linguistique n’aura pas lieu», Le Devoir, 22 avril 1998.
(8) Le libellé de cette question a varié; nous donnons celui du recensement de 2001 : Statistique Canada, http://www.statcan.ca/francais/census2001/dict/pop051_f.htm, en ligne le 12 mars 2003.
(9) Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Introduction générale. Livre I : Les langues officielles, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1967, p. 18.
(10) Bureau fédéral de la statistique, Recensement du Canada de 1971, (questionnaire du recensement), Ottawa, mai 1971 : question 17, p. 6; majuscules dans le texte.
(11) Victor Piché, «Démographie et langue : pour sortir de la guerre des chiffres», La Presse, 3 février 2001, p. A19.
(12) La migration résultante est nulle lorsqu’un migrant revient à son point de départ; voir : Roland Pressat, op.cit., p. 122.
(13) Expression utilisée par Gérald Leblanc, «Le français attire les allophones», La Presse, 24 janvier 1998.
(14) Michel Paillé, «L’avenir de la population francophone au Québec et dans les autres provinces canadiennes», Grenzgänge, Beiträge zu einer modern Romanistik, Leipzig, n° 3, 1995, p. 43-48; ce rapprochement donnait une indication sur les substitutions linguistiques des générations passées.
(15) Robert Maheu, Les francophones du Canada, 1941-1991, Montréal, Éditions Parti Pris, 1970, p. 19-21.
(16) Charles Castonguay, L’assimilation linguistique : mesure et évolution, 1971-1986, Québec, Conseil de la langue française, 1994, p. 23-48.
(17) Statistique Canada, http://www.statcan.ca/francais/census2001/dict/pop051_f.htm, en ligne le 12 mars 2003.
(18) Danielle Juteau, L’ethnicité et ses frontières, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1999, p. 42.
(19) Ibid., p. 52.
(20) Victor Piché, «Pour en finir avec l’obsession linguistique», La Presse, 16 octobre 1999; cette perception matérialiste de la famille est plus réductrice que celle de Marx et Engels.
(21) Voir à ce propos le «tableau fort émouvant» brossé par Juteau : op. cit., p. 92-94.
(22) Danielle Juteau, op. cit., p. 42.
(23) Michel Paillé, Les écoliers du Canada admissibles à recevoir leur instruction en français ou en anglais, Québec, Conseil de la langue française, 1991, p. 58-60.
(24) Charles Castonguay, «Assimilation linguistique et remplacement des générations francophones et anglophones au Québec et au Canada», Recherches sociographiques, XLIII, 1, 2002, p. 175.
(25) Par opposition, y aurait-il des «replis ‘chaleureux’ sur soi»?
(26) Michel Paillé, «La population québécoise francophone : un constat de diversité», Collectif interculturel, vol. IV, n° 1, 1998, p. 78; voir aussi : idem, «Diversité de la population québécoise dont la langue d'usage est le français», dans : Michel Sarra-Bournet (dir.), Le pays de tous les Québécois. Diversité culturelle et souveraineté, Montréal, vlb éditeur, 1998, p. 87-98.
(27) Claude Corbo, Mon appartenance. Essais sur la condition québécoise, Montréal, vlb éditeur, 1992, p. 17.
(28) Outre le fait que l’origine principale est généralement déterminée par le patronyme, les données dont nous disposions ne remontent guère qu’aux grands-parents pour la plupart des personnes. Il y a certes sous-estimation de la diversité des origines.
(29) Comité interministériel sur la situation de la langue française, Le français langue commune. Enjeu de la société québécoise, Québec, ministère de la Culture et des communications, 1996, p. 48 et 304.
(30) Le tableau politique canadien, Québec, Bureau de la statistique du Québec et Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes, vol. 13, n° 1, janvier 1999, p. 14.
(31) Il s’agit de la somme des mariages des années 1980, 1981 et 1982.
(32) Michel Paillé, «Aperçu des mariages interlinguistiques au Québec», colloque Couples et conjugalité, Association des démographes du Québec, 65e congrès de l’ACFAS, Trois-Rivières, 14 mai 1997, tableau 4.
(33) Ibid., tableau 5.
(34) Gouvernement du Québec, Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, Québec, Ministère des Communautés culturelles et de l’immigration, 1990, p. 9-10.
(35) Ibid., p. 12-14.
(36) Denise Helly, «La question linguistique et le statut des allophones et des anglophones au Québec», Revue d’aménagement linguistique, hors série, automne 2002, p. 39.
(37) Victor Piché, «La question linguistique à Montréal. Immigration et intégration : une crise qui n’a pas eu lieu», dans : Roch Côté (dir.), Québec 2002. Annuaire politique, social, économique et culturel, Montréal, Fides, 2002, p. 44.
(38) Charte de la langue française, L.R.Q., chapitre C-11, préambule.
(39) Michel Paillé, «Aménagement linguistique et population au Québec», Revue d’études canadiennes, vol. 23, n° 4, hiver 1988-1988, p. 62.
(40) Ministre d’État au Développement culturel, La politique québécoise de la langue française, Québec, Éditeur officiel, 1977, p. 5-13.
(41) Association des démographes du Québec (ADQ), Dossier linguistique, un aperçu des débats sur la Loi 101, Québec, ADQ, 1977, 205 pages.
(42) Ministre d’État au Développement culturel, op. cit., p. 6-8.
(43) Camille Laurin, Le français, langue du Québec, Montréal, Éditions du jour, 1977, p. 133.
(44) Louis Duchesne, «Quelques données démographiques sur un Québec aussi français que l’Ontario est anglais», dans : Michel Amyot, La situation démolinguistique au Québec et la Charte de la langue française, Québec, Conseil de la langue française, 1980, p. 48 et 45.
(45) Michel Paillé, «Les langues officielles du Canada dans les provinces de Québec et d’Ontario : une comparaison démographique», dans : Michael A. Morris (dir.), Les politiques linguistiques canadiennes : une approche comparée (titre provisoire), Paris, L’Harmattan, à paraître.
(46) Gouvernement du Québec, «Loi sur le tabac», L.R.Q., 1998, chap. 33.
(47) Santé Canada, «La ministre McLellan annonce une nouvelle campagne pour aider les Canadiens à cesser de fumer», Communiqué de presse du 22 janvier 2003.
(48) Ibid.
(49) Victor Piché, «La question linguistique à Montréal…», loc. cit., p. 44.
(50) Guy Bouthillier, L’obsession ethnique, Montréal, Lanctôt éditeur, 1997, p. 50.
(51) Ibid., p. 48.
(52) Ibid., p. 48.
(53) Ministre d’État au Développement culturel, op.cit., p. 30-31.
(54) Charles Castonguay, «Le dilemme démolinguistique du Québec», dans : Douze essais sur l’avenir du français au Québec, Québec, Conseil de la langue française, 1984, p. 25.
(55) Statistique Canada, Profil - Langues, mobilité et migration, Canada, provinces, territoires, divisions et subdivisions de recensement, Recensement de 2001, 95F0488XCB01001.
(56) Paul Béland, «L’usage public des langues au Québec», Bulletin d’histoire politique, vol. 11, n° 1, automne 2002, p. 140-141.
(57) Michel Paillé, Nouvelles tendances démolinguistiques dans l’île de Montréal, 1971-1996, Québec, Conseil de la langue française, 1989, xvii-173 pages.
(58) Jack Jedwab, «Ce sont les francophones banlieusards qui menacent le plus l’élément français à Montréal», La Presse, 28 septembre 1989.
(59) Marc V. Levine, «Le français menacé à Montréal?», La Presse, 17 février 2001, p. A21.
(60) Marc Termote, Perspectives démolinguistiques du Québec et de la région de Montréal à l’aube du XXIe siècle, Québec, Conseil de la langue française, 1999, ii-195 pages.
(61) Michel Paillé, Nouvelles tendances…, op. cit., p. 8-9.
(62) Roland Pressat, op. cit., p. 119.
(63) Des échanges quotidiens d’écoliers au moyen d’autobus, au sein de l’île ou entre l’île et la couronne, ne représentent pas une solution. Ils obligeraient à étendre de plus en plus le rayon de redistribution «pour assurer une répartition plus égale des allophones dans les écoles françaises» (Marco Micone, «D’un ghetto à l’autre», Voir, 12-18 novembre 1992). Procéder par le «voluntary busing» suggéré par Micone (loc.cit.) serait illusoire. Car il y a gros à parier qu’une large proportion des volontaires, voire la majorité, se trouveraient parmi ceux que l’on voudrait garder dans les écoles où ils se trouvent déjà.
(64) Marie Mc Andrew et al., Concentration ethnique et usages linguistiques en milieu scolaire, Montréal, Immigration et métropoles, 1999, p. 9.
(65) Groupe de travail ministériel, Les défis de la langue française à Montréal et au Québec au XXIe siècle : constats et enjeux, Québec, Gouvernement du Québec, 2000, p. 20-21.
(66) Paul Béland et al., Les navetteurs et la dynamique des langues sur l’île de Montréal, Québec, Conseil de la langue française, 2001, p. 25.
(67) Michel Paillé, «Le français à Montréal : effets de la francisation et facteurs démographiques», dans : Enjeux démographiques et intégration des immigrants, colloque thématique de la Commission des états généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, Montréal, 25-26 janvier 2001.
(68) Paul Béland, Le français, langue d'usage public au Québec en 1997, Québec, Conseil de la langue française, 1999, 123 p.